Fin de l’immersion // Retour sur nos observations

Du 19 au 28 mars, nous avons parti à la découverte des réseaux de solidarités existants sur le territoire de Redon Agglomération. Nous avons ainsi réalisé plus de 60 entretiens individuels, sans compter les micro-trottoir que nous avons animé – aux marchés de Pipriac et de Redon, dans le hall d’accueil du « 3 rue Charles Sillard », au Forum de l’emploi de Pipriac, à la sous-Préfecture à Redon.

Toutes ces rencontres nous ont permis de :

  • Identifier les différents acteurs intervenant dans les champs des solidarités – et leurs fonctionnements
  • Comprendre l’identité de nos deux lieux de Résidences (1) et leur positionnement dans les champs des solidarités
  • Affiner notre questionnement de départ au regard des problématiques de terrain
  • Esquisser des premières hypothèses sur l’identité des lieux des solidarités de demain
  • Définir les thèmes d’expérimentation

Deux lieux de solidarité territoriale

Le PAE de Pipriac est un service est connu et reconnu des demandeurs d’emploi. « C’est un Pôle Emploi qui nous écoute« . Et comme nombre d’espace de service public, il s’agit d’un « lieu guichet » où l’on vient chercher une information, un conseil, une aide – principalement sur rendez-vous. Le PAE s’inscrit pleinement dans une logique de « solidarité pour » mais laisse peu de place aux « solidarités entre ».

La Recyclerie de Redon, c’est est un caméléon. De par le fonctionnement de son activité commerciale, son service est tout public. Les différents usagers ne se croisent pas nécessairement. Il y a ceux qui achètent par besoin, ceux qui chinent par plaisir, ceux qui préparent le magasin, ceux qui donne à la Recyclerie. Mais tous se sentent le droit d’y venir. Le lieu n’est pas connoté, il est accessible de tous. Pour autant, la Recyclerie relève principalement d’une logique de « solidarité pour », mais reste porteur d’un terreau fertile aux « solidarités entre » – dans l’informel des rencontres entre bénévoles par exemple.
Je donne beaucoup, il ne faut pas jeter inutilement. Par contre, je ne récupère pas de seconde main. Je n’aime pas trop“. “J’utilise régulièrement la Recyclerie. Mais je n’aime pas le troc. Je préfère acheter, même pas cher“. “Je vais bientôt être étudiante. Je voudrais trouver du mobilier de récupération car se meubler neuf, c’est trop cher“.

Les confirmations de l’immersion

Le poids des étiquettes.Mon gamin, quand il avait 14 / 15 ans, il ne voulait pas aller au PIJ. Il me disait “non mais c’est bon, je ne vais pas aller avec les cas soc’“. Encore une fois, ce dispositif est accessible aux jeunes, si c’est dans le cadre d’une démarche de recherche d’emploi. “
Nombre de services solidaires sont pensés pour un « public cible », de façon à aider en priorité ceux qui en ont le plus besoin. Mais ce fonctionnement peut conduire à enfermer les bénéficiaires dans un environnement balisé « pour les demandeurs ». Et finalement, on peine à distinguer les notion de solidarité et d’action sociale.

Il n’y a pas UN mais DES champs des solidarités, plus ou moins étanches : le service public, l’action sociale, l’action caritative, l’économie solidaire, l’action associative, les services numériques de l’économie collaborative. En effet, ces dernières années, aux côtés des acteurs historiques des solidarités, de nouveaux acteurs – numériques, citoyens – ont fait leur entrée. Et leurs cultures divergent (vivre ensemble/aide aux plus démuni, réciprocité/assistance, etc.), de même que leurs modalités d’action (bénévole/professionnel, présentiel/en ligne, public cible / tous publics, etc.).
Actuellement, ces acteurs se connaissent peu. Localement, il existe bien une Coordination partenariale d’action sociale du pays de Redon Bretagne sud ; mais comme son nom l’indique, elle ne concerne que les acteurs de l’action sociale. Finalement, la diversité des acteurs des solidarités a très peu d’occasions pour se rencontrer et au delà, agir ensemble. Cette méconnaissance freine les possibles collaborations et nourrit les réflexes de méfiance, les craintes de concurrence.
On ne sait pas qui fait quoi. Nous même on a des difficultés à s’y retrouver“. “Chacun travaille .. pas dans son coin parce que l’on collabore quand-même ; mais il y en a partout et personne ne se connait“. La nouvelle Recyclerie, elle nous fait un peu de tort parce que ceux qui donne à la Recyclerie ne donne plus ici. “

L’accès aux services de solidarités à l’heure du numérique, un enjeu pressant. “Ils ne savent pas joindre une pièce jointe à un mail !”, “Ils viennent nous voir pour se plaindre du tout numérique (…) On ne sait pas vers qui les réorienter ». Au fils des rencontres et des discussions, l’enjeu des médiations numériques sur le territoire de Redon Agglomération s’est rapidement imposés à nous.
De plus en plus de services de solidarité tendent à être accessible uniquement en ligne. Cette situation fait craindre chez les professionnels de l’action sociale et solidaire le développement d’une société à deux vitesses ; il y aurait d’un côté les personnes connectées – en capacité d’accéder à tous les services en ligne – et les autres, pour qui le numérique constituerait un facteur supplémentaire d’exclusion. Dans ces conditions, comment réagir pour garantir l’inclusion de tous ? Quelles offres de médiations imaginer ?
Sur le territoire de Redon Agglomération, nous avons identifié quatre offres d’accompagnement numérique : Les points d’accès public à internet (ex : le Point 35 multimédia de Pipriac), les points d’accès à internet réservés à un public cible (ex : le point internet de la Mission Locale), les formations numérique payantes (ex : Les Mulots) et les ateliers de soutien aux e-démarches administratives (ex : les ateliers numériques de la CAF). Malgré la diversité de cette offre, leur nombre reste insuffisant face à l’ampleur des besoins. Et leur fonctionnement en silos ne permet pas d’organiser un accompagnement efficient.

Les pépites de l’immersion

Définir le périmètre des services de solidarité n’est pas chose aisée. Certes, un service est solidaire s’il permet d’organiser une action solidaire. Mais finalement, cette définition ne nous avance pas beaucoup. Lorsque je donne à la Recyclerie, je trouve une solution pour désencombrer mon garage tout en permettant à d’autres personnes d’accéder à un bien à moindre coût. Est-ce solidaire ? De même, lorsque je propose un covoiturage sur Blablacar, je trouve une solution pour amortir mon véhicule, tout en permettant à d’autres personnes de se déplacer à moindre coût. Et lorsque j’agis comme bénévole à la Mission Locale, je trouve une solution pour occuper mon temps, tout en rendant service à d’autres. La solidarité est portée par de nombreuses valeurs, plus ou moins religieuses / plus ou moins citoyennes. Elle relève donc de l’intention plus que de l’état. On peut s’inscrire dans la solidarité par besoin (accéder à des biens à moindre coût ou rencontrer du monde), par militantisme, par intérêt personnel ou par générosité. Les raisons sont multiples, subjectives et personnelles. Nous retiendrons donc qu’une action est solidaire lorsqu’elle permet à deux personnes (au minimum) de s’entraider. Certains services prennent appui sur un niveau d’intermédiation important (comme la Recyclerie par exemple), d’autres impliquent une indemnisation financière. A chacun de faire ses choix !

L’hybridation requiert un climat de coopération sincère. Il ne suffit pas d’implanter deux services dans un même lieu ; pour qu’il y ait hybridation, il leur faut identifier leurs forces et leurs complémentarités. De cette façon, l’hybridation peut enrichir l’identité du lieu.  Sinon, la cohabitation risque d’être stérile, voire nuisible.
La coopération sincère implique de mettre en commun, de partager, d’écouter, d’accepter d’être surpris, et de sortir de sa zone de confort. La coopération sincère demande un lâcher-prise qui peut être compliqué à mettre en œuvre pour les professionnels comme pour les bénévoles. La crainte de l’échec et de la concurrence freine bien souvent les envies. Et la course après le temps et l’innovation dans laquelle la plus part des professionnels sont aujourd’hui engagés limite les marge de manœuvre.
Il ne peut donc pas y avoir de combo magique pour construire un lieu des solidarités. Il y a des « patterns » à combiner et adapter en fonction des écosystèmes locaux. Nous avons commencé à identifier 5 patterns :

  • Le lieu aiguilleur : un lieu de médiation
  • Le lieu totem : un lieu emblématique thématique
  • Le lieu greffe : un service greffé sur un lieu préexistant
  • Le lieu couteau-suisse : un lieu multi-fonction
  • Le lieu de vie : un lieu outillé pour accueillir l’informel

Les services collaboratifs comme solution d’innovation, une fausse bonne idée ? Boîte à livres, espace de coworking, covoiturage solidaire : les services collaboratifs peuvent être appréhender comme des solutions peu coûteuses pour créer du liens social entre des usagers, changer l’image d’un lieu ou répondre à un besoin non couvert. Pour autant, leur succès est bien souvent limité. Et la raison identifiée assez récurrente : il n’y avait pas assez d’animation.
Cette analyse nous laisse songeur. La plus part du temps, les services collaboratifs sont en effet managés comme un nouveau projet, ajoutant un charge de travail supplémentaires aux professionnels. Par manque de moyens et de priorisation, l’animation du projet est sous investi et le service vivote.
Et si les services collaboratifs étaient appréhendés comme des nouveaux outils de travail et non plus comme de nouveaux services ? Et si leur animation ne constituait plus une charge de travail supplémentaire mais un nouvel outil d’animation pour mettre en œuvre ses missions ?
Usagers et professionnels sont habitués à fonctionner selon une logique de solidarité pour : « On les accompagne mais ils n’ont pas envie d’apprendre« . Le recours aux services collaboratives est un changement culturel pour les usagers comme pour les professionnels.

(1) Nos deux lieux de Résidence : la Recyclerie de Redon et le Point Accueil Emploi de Pipriac.